Le système nerveux permet de transmettre des messages rapidement le long de neurones depuis le cerveau ou la moelle épinière jusqu’aux différentes parties du corps. Il contrôle tous les mouvements volontaires et involontaires qui assurent le fonctionnement de base de l’organisme. Le système endocrinien, lui, utilise des hormones pour transmettre des message sur le plus long terme qui servent à affiner nombre de fonctions telles que la digestion, la pression artérielle, la croissance, la reproduction ou encore la lactation. Ces deux systèmes de communication s’entremêlent au niveau de l’hypothalamus, une structure à la base du cerveau antérieur qui intègre des messages entrants du système nerveux et contrôle l’hypophyse, la glande mère du système endocrinien. Un grand nombre de maladies génétiques rares affectent les sytèmes nerveux et endocrinien et sont à l’origine respectivement de déficiences intellectuelles (comme le syndrome de Rett et plusieurs encéphalopathies épileptiques précoces) et de déséquilibres hormonaux, qui affectent grand nombre de fonctions de l‘organisme.
Les chercheurs et cliniciens du département CNS/NET contribuent largement à améliorer la compréhension et le diagnostic des maladies rares des systèmes nerveux et neuroendocrinien. Ils ont amplement déchiffré leurs causes génétiques, explorent actuellement les mécanismes responsables de leurs manifestations pathologiques et développent des pistes thérapeutiques qui dores et déjà s’annoncent prometteuses.
Le département CNS/NET rallie un ensemble unique de compétences allant de l’expertise clinique au chevet des patients à la recherche préclinique, en passant par la maîtrise de la génétique moléculaire, la neurophysiologie et la neuroendocrinologie. Ce rassemblement de forces a déjà permis au département d ‘atteindre d’importantes avancées scientifiques et d’accélérer leur entrée en phase de développement clinique pour le traitement des patients.
La déficience intellectuelle (DI) se caractérise par d’importantes limitations du fonctionnement intellectuel et des habiletés adaptatives d’un individu, c’est à dire sa responsabilité sociale et sa capacité à accomplir les tâches du quotidien de manière indépendante. Ce handicap concerne près de 3% de la population représentant ainsi un problème majeur de santé publique à travers le monde. Des progrès considérables ont été accomplis en termes de diagnostic au cours des vingt dernières années, mais 50% des patients atteints de DIs restent encore dans l’errance diagnostique. Pour pallier cette défaillance, l’équipe de Laurent Villard, entre autres, est à la recherche des causes génétiques de ces affections. A ce jour, ils ont déjà identifié plusieurs nouveaux gènes responsables de DIs et ont amplement éclairci la compréhension des mécanismes pahologiques liés à des mutations dans ces gènes.
Une cohorte unique de 1300 patients
Les scientifiques s’intéressent tout particulièrement aux encéphalopathies épileptiques et développementales (DEE). Pour réussir à mieux les diagnostiquer, ils ont entrepris de constituer une cohorte importante qui aujourd’hui rassemble 1300 patients. Cet effort a déjà porté ses fruits puisqu’il a permis d’identifier plusieurs gènes associés à de EEP, et de confirmer que le gène KCNQ2 est le gène le plus fréquemment muté.
« Des mutations du gène KCNQ2 avaient jusqu’alors été associées au syndrome des convulsions néonatales bénignes familiales (BFNC), une forme rare d’épilepsie qui survient chez le nouveau-né mais dont le pronostic est habituellement bon ; les convulsions disparaissent avec l’âge, les patients ne présentent pas d’anomalies neurologiques, et leur développement neurocognitif est normal », explique Mathieu Milh, le neurologue responsable des aspects cliniques de ce projet dans le laboratoire de Laurent Villard. « Ce fut une grande surprise que de découvrir que KCNQ2 est un gène important dans les EEP : nous avons identifié en tout 68 mutations différentes du gène dans notre cohorte ».
KCNQ2 code pour une protéine qui participe à la formation de canaux potassiques dans les neurones et qui est donc cruciale pour assurer la communication dans le cerveau. Les chercheurs ont établi des collaborations avec INMED (Inserm U1249) et l'Institut des Neurosciences de La Timone (CNRS) pour tenter de comprendre au niveau cellulaire en quoi ces deux populations de patients sont différentes, et pourquoi alors que certaines mutations provoquent une affection « légère » de type BFNC, d’autres mutations du même gène conduisent à des EEP, qui elles sont beaucoup plus sévères. Le but ultime de ce projet est de pouvoir proposer aux patients atteints d’EEP des traitements pharmacologiques efficaces qui pour l’instant sont inexistants. Ces projets ont été soutenus par l'ANR, et le sont à nouveau en 2019 avec le projet IMprove qui a débuté à l'automne 2019 (AAPG 2019).
L’initiative est bien plus avancée dans le domaine du syndrome de Rett, une déficience intellectuelle qui occupe les chercheurs dans le laboratoire de Laurent Villard depuis plusieurs années.
Le Syndrome de Rett (RTT) est une déficience intellectuelle grave décrite pour la première fois par le pédiatre autrichien Andreas Rett. Il se caractérise par un développement cérébral normal jusqu’à l’âge de 6 à 18 mois, âge à partir duquel ce développement commence à régresser pour finalement s’arrêter. Alors qu’une déficience intellectuelle sévère s’installe, le périmètre crânien cesse de progresser normalement, provoquant ainsi une microcéphalie acquise. Les patientes, qui sont dans leur quasi-totalité des filles, perdent progressivement leurs acquis, tels que la marche ou le langage. Elles font également face à des complications supplémentaires, problèmes moteurs, épilepsies, convulsions et troubles respiratoires à l’origine d’épisodes d’hyperventilations et d’apnées.
En 1999, le laboratoire de Huda Zoghbi (Houston, Texas, États-Unis) découvre le gène responsable pour la plupart des cas de RTT, le gène MECP2, qui se situe au niveau du chromosome X, en position Xq28. Depuis, le laboratoire de Laurent Villard a entrepris une recherche exhaustive de mutations dans ce même gène parmi un ensemble de patients français, et a démontré que des mutations de MECP2 sont également à l’origine d’autres types de DIs, y compris des cas d’encéphalopathies sévères touchant les garçons.
Des mécanisme moléculaire aux traitements pour les patients RTT
Afin de mieux comprendre les mécanismes moléculaires qui déclenchent le syndrome de Rett, Laurent Villard et ses collaborateurs s’intéressent depuis des années à un modèle murin de la maladie développé dans le laboratoire d’Adrian Bird (Edinburgh, Royaume-Uni). Leurs découvertes constitutent des avancées majeures dans le domaine qui ont permis de développer de potentielles voies thérapeutiques prometteuses pour le traitement des patients RTT.
Les chercheurs ont remarqué que les souris Mecp2 présentaient des troubles respiratoires similaires à ceux des patients RTT. Ils ont noté que ces troubles étaient liés à une diminution des niveaux d’un neuromédiateur appelé norépinéphrine (NE) au niveau de la medulla, l’aire du cerveau qui contient les centres respiratoires. À l’époque, cette découverte fut la première description in vivo d’un défaut cellulaire lié à l’absence de Mecp2. De plus, leurs premières recherches suggéraient que les troubles respiratoires pouvaient être corrigés par ajout de NE exogène. L’équipe a donc tenté de provoquer une augmentation des niveaux de NE chez les animaux, en traitant les souris à la désipramine, un composant chimique normalement utilisée pour traiter des patients dépressifs.
« Nous avons administré une dose quotidienne de désipramine aux souris, et avons remarqué non seulement une amélioration des troubles respiratoires, mais également de leur espérance de vie », rapporte Jean-Christophe Roux, en charge du projet Rett dans le laboratoire de Laurent Villard. « À partir de ces résultats très positifs, nous avons initié un essai clinique en collaboration avec le Professeur Josette Mancini de l’Hôpital La Timone à Marseille, pour étudier les effets d’un traitement à la désipramine sur des enfants atteints de Rett ». Les résultats de cet essai clinique de phase II ont été publiés en 2018.
Plus récemment, les chercheurs ont identifié dans les neurones des souris Mecp2 des défauts de transport du BDNF, un facteur crucial pour la croissance et la survie neuronales, ainsi que pour l’établissement de connexions entre neurones. Ils ont démontré qu’une augmentation de la sécrétion de BDNF, en utilisant un composé chimique appelé cysteamine, induit une amélioration significative des défauts moteurs chez les souris RTT et une augmentation de leur espérance de vie. Cette importante découverte est maintenant entrée dans la clinique où un deuxième essai de phase II est en cours pour déterminer l’efficacité d’une traitement à la cystéamine chez des patients Rett.
Ces investigations cherchant à comprendre les dysfonctionnement moléculaires dans le Syndrome de Rett ce sont avérés fructueuses. En effet, en plus de des deux essais décrits ci-dessus, l’équipe de Laurent Villard explore de nouvelles pistes qui semblent prometteuses et offrent des perspectives solides en termes de développement de traitements thérapeutiques.
Les maladies neuroendocriniennes sont dues à une hyper- ou à une hyposécrétion d’hormones par les glandes endocriniennes. Alors que les maladies liées à une hypersécrétion sont pour la plupart dues à des tumeurs bénignes non-cancéreuses, les maladies liées à une hyposécrétion, appelées déficits hormonaux, peuvent avoir des origines bien différentes. Ces troubles peuvent toucher n’importe quelle glande endocrinienne, mais ceux qui affectent l’hypophyse, la glande mère du système endocrinien, présentent un éventail de conséquences bien plus large sur différentes fonctions biologiques. Dans l’idée de proposer de nouveaux traitements thérapeutiques, le laboratoire de Thierry Brue explore les causes génétiques et les mécanismes moléculaires qui sont à la base des troubles neuroendocriniens. Les chercheurs s’intéressent tout particulièrement au déficit hypophysaire combiné multiple (CPHD : Combined Pituitary Hormone deficiency), pour lequel ils ont dores et déjà identifié un grand nombre de gènes et de mutations responsables, en partie grâce à la constitution d’une collection internationale d’échantillons ADN provenant de 1200 patients (GENHYPOPIT).
Troubles neuroendocriniens : la clé est dans la balance
« L’analyse détaillée des échantillons ADN du réseau GENHYPOPIT nous a permis de découvrir un nouveau syndrome qui combine un déficit hormonal à un déficit immunitaire commun variable caractérisé par un défaut dans la production d’anticorps » déclare Thierry Brue. « Nous avons baptisé ce syndrome DAVID, pour ‘Deficit in Anterior pituitary function and Variable Immune Deficiency’ ». Le gène responsable du syndrome de DAVID s’appelle NFKB2 et code pour une sous-unité du complexe NFkB, un facteur de transcription important qui active l’expression d’un nombre de gènes dans les réponses inflammatoires et immunitaires.
En parallèle, le laboratoire s’intéresse également à l’étude des tumeurs neuroendocriniennes (TNE) pour comprendre les signaux qui y entraînent une augmentation de la sécrétion d’hormones. L’équipe a jusqu’à présent identifié plusieurs facteurs impliqués aussi bien dans le CPHD que dans les TNE, mais sur lesquels ils ont des effets opposés. C ‘est le cas du récepteur de l’hormone de croissance (GHR), du récepteur ghréline (GHS-R) , ou encore de Pit-1, un facteur de transcription important pour le développement hypophysaire et l’expression d’hormones.
Les deux faces de Pit-1
Le gène PIT-1 avait historiquement été impliqué aussi bien à des cas de nanisme que dans des cas de gigantisme. Ce gène code pour un facteur de transcription clé dans la différentiation des cellules endocriniennes et régule l’expression d’hormones telles que l’hormone de croissance ou la prolactine (impliquées respectivement dans la croissance et la lactation). En 2006, alors que des mutations dans le gène avaient déjà été associées à des cas de CPHD, Thierry Brue, Anne Barlier et leurs collaborateurs démontrent l’implication de PIT-1 cette fois-ci dans les TNE dans lesquelles il agit en facteur de croissance. L’équipe décide alors d’exploiter ces deux faces du rôle de PIT-1 dans le déficits hormonaux et les TNE, et développe une approche de thérapie génique utilisant une version muté de PIT-1 identifiée chez des patients CPHD, Pit-1-R271W, pour traiter l’hypersécrétion et la croissance tumorale dans le syndrome opposé, les tumeurs neuroendocriniennes.
« Nos résultats montrent que le mutant Pit1-R271W bloque l’hypersécrétion hormonale de cellules issues de TNE et induit la mort cellulaire aussi bien in vitro que in vivo chez la souris » décrit Anne Barlier, en charge de ce projet dans le laboratoire de Thierry Brue. « Cette stratégie pourrait s’avérer prometteuse pour le traitement de tumeurs de l‘hypophyse par thérapie génique »
En plus de poursuivre la recherche de mutations génétiques liées à des maladies neuroendocriniennes, les chercheurs mobilisent actuellement leurs efforts pour établir de nouveaux modèles cellulaire qui permettraient de mieux comprendre ces troubles, ainsi que pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques.