La dernière décennie a vu le développement du séquençage de nouvelle génération (NGS) qui a révolutionné les domaines de la recherche et du diagnostic. Il est désormais possible de séquencer rapidement les génomes des patients, ce qui permet de collecter et de comparer un nombre incroyable de données génomiques, extrêmement utiles pour identifier les causes génétiques de diverses maladies. Cette technologie a été fondamentale au département NeMus dans l’identification de nombreux gènes et mutations impliqués dans les maladies neuromusculaires.
L’analyse de l’incroyable masse de données issues du NGS et leur comparaison à des profils cliniques complexes nécessitent cependant le développement de systèmes et d’outils bioinformatique solides. L’équipe « Bioinformatique et Génétique » dirigée par le Pr. Christophe Béroud a développé plusieurs systèmes de référence pour répondre à toutes les étapes de la recherche translationnelle et qui sont aujourd’hui les systèmes les plus performants dans la prédiction de pathogénicité (UMD-Predictor et HSF couplés au système d’annotation et de filtration VarAFT). Leur objectif est d’identifier rapidement les mutations responsables des maladies en question parmi la masse de variation génétique ‘innocente’ que l’on trouve normalement dans les génomes de différents individus. Grâce à cette expertise, l’équipe dirige les études cliniques bioinformatiques du Projet Européen RD-Connect FP7 et travaille à présent sur la construction de deux bases de données relatives aux maladies rares, la première répertoriant les variations de nombre de copies dans ces maladies (BAnque Nationale des CNV COnstitutionnels – BANCCO), et la deuxième répertoriant tous les variants génétiques identifiés par NGS (French Rare Disease Variant Database - RDVD). Les chercheurs ont par ailleurs établit des bases de données dénombrant les mutations trouvées dans divers gènes impliqués dans le cancer, notamment pour les gènes BRCA1 et BRCA2 impliqués dans le cancer du sein et des ovaires, ou encore dans des gènes responsables de NMDs. Ils ont également établit des registres de patients qui rassemblent les renseignements génétiques et cliniques connus pour une maladie donnée. Les chercheurs ont par exemple développé les registres globaux du réseau TREAT-NMD, ainsi que l’Observatoire National Français des patients atteints de dystrophie musculaire Facio-Scapulo-Humérale (DMFSH), une maladie qui touche essentiellement les muscles du visage, des épaules et des avant-bras. Ce dernier contient les données de plus de 450 patients et est aujourd’hui le plus important registre de patients DMFSH au monde.
L’étude des données cliniques et génétiques de la DMFSH est essentielle pour comprendre les mécanismes moléculaires qui mènent au développement de la pathologie, une quête qui occupe le laboratoire du Dr. Frédérique Magdinier depuis plusieurs années.
La plupart des patients atteints de DMFSH (95%) sont porteurs d’une mutation génétique sur le chromosome 4, en position 4q35. Elle est située à proximité d’une des extrémités du chromosome, appelées télomères, dans la région dite subtélomérique. Cette région contient une ‘répétition D4Z4’, une séquence d’ADN dans laquelle une unité de base D4Z4 est répétée plusieurs fois en tandem. Les individus non atteints portent normalement entre 11 et 150 unités D4Z4 à ce site, alors que les patients DMFSH portent une mutation qui consiste en une contraction de la répétition avec seulement 1 à 10 de ces unités. Cependant, contrairement à d’autres maladies génétiques, cette mutation se situe en dehors de tout gène et n’altère donc pas la fonction d’une protéine. Par contre, elle interfère localement avec la chromatine, la structure qui emballe et compacte l’ADN à l’intérieur du noyau de la cellule. L’ADN peut être plus ou moins compacté, ce qui le rend plus au moins accessible et permissif à l’expression des gènes qu’il comporte. Chez les individus sains, les répétitions D4Z4 sont associées à une chromatine hautement compactée et une expression quasi-nulle des gènes avoisinants. Ces deux caractéristiques sont cependant perdues chez les patients DMFSH porteurs de la contraction D4Z4.
Les chercheurs du laboratoire de Dr. Frédérique Magdinier ont apporté d’importants éléments de réponse à ces observations. Ils ont en effet démontré il y a quelques années que la version courte de la répétition D4Z4 est capable d’interagir avec CTCF, une protéine capable de modifier la structure de la chromatine. De plus, l’équipe a révélé que cette même version courte de la répétition D4Z4 est relocalisée à la périphérie du noyau, sous-domaine nucléaire impliqué dans la régulation de la chromatine.
D’un point de vue clinique, les premiers signes de DMFSH n’apparaissent normalement qu’à partir de l’adolescence, ce qui signifie que les patients présentent des muscles d’apparence normale pendant au moins une dizaine d’années. Pour comprendre pourquoi ces muscles fonctionnels tout à coup deviennent défaillants, le Dr. Frédérique Magdinier et son équipe ont décidé de s’intéresser aux caractéristiques moléculaires des muscles présymptomatiques au cours du développement.
« Nous avons observé que chez le fœtus les muscles présentent déjà des défauts similaires à ceux de patients DMFSH adultes », explique le Dr. Frédérique Magdinier. « De plus, l’expression des gènes impliqués dans le développement musculaire est globalement dérégulée. Nos résultats ont ainsi révélé que malgré l’apparence normale des muscles avant l’apparition des premiers symptômes chez les patients, des défauts existent déjà au cours du développement embryonnaire ».
Par l’étude de larges cohortes de patients présentant les signes typiques de la DMFSH, ainsi que d’individus sains porteurs de la mutation, l’équipe a par ailleurs découvert que la méthylation de l’ADN, un des changements épigénétiques caractéristiques de la maladie, présente des niveaux extrêmement variables entre individus. Les chercheurs ont également identifié des réarrangements chromosomiques complexes chez certains patients, soulignant ainsi la complexité du locus D4Z4 lié à la maladie.
L’ensemble de ces résultats démontre qu’il est crucial d’étudier en détail les changements épigénétiques et la structure de la chromatine au cours du développement musculaire pour comprendre les mécanismes pathologiques qui mènent à la DMFSH. Les projets de l’équipe visent à étudier la différentiation des cellules musculaires, ainsi que les mécanismes moléculaires qui expliquent le lien entre l’organisation structurale du locus 4q35 et la pathologie. Pour cela, les chercheurs développent actuellement de nouveaux modèles cellulaires de la maladie dont des modèles basés sur des cellules iPS (cellules pluripotentes induites).
Les dysferlinopathies sont un groupe de maladies neuromusculaires très hétérogènes qui présentent des symptomes plus ou moins sévères. Elles sont toutes liées à des mutations du gène de la Dysferline (DYSF) qui code pour une large protéine nécessaire lors de la survenue d’une lésion pour réparer la membrane enveloppant les fibres musculaires. À ce jour, plus de 400 mutations différentes dans le gène ont été associées à des maladies de cette famille. Les chercheurs du MMG ont beaucoup d’expérience dans le diagnostic des dysferlinopathies et ont largement contribué à identifier ces mutations. Dans le cadre de ses activités de diagnostic, le laboratoire du Dr. Marc Bartoli a récemment créé une base de données publique qui rassemble toutes les mutations identifiées chez des patients et leurs familles, ainsi que les données cliniques disponibles pour chaque individu. Cette base de données est un outil essentiel pour cliniciens et chercheurs afin de mieux comprendre ces maladies.
Au delà de l’intérêt que l’équipe porte au diagnostic, le Dr. Marc Bartoli et ses collègues cherchent à développer des stratégies thérapeutiques pour le traitement des dysferlinopathies. Ils travaillent actuellement sur le développement d’une méthode basé sur le saut d’exon, une technique qui exploite la structure même des gènes et les mécanismes qu‘ils subissent lors de leur expression.
Le saut d’exon – en quoi consiste-t-il?
Les gènes sont composés de deux types d ‘éléments intercalés: les exons et les introns. Les exons contiennent les séquences qui seront traduites en protéine, alors que les introns sont des séquences non-codantes qui devront être éliminés avant cette traduction. La première étape de l’expression d’un gène est sa transcription, un processus par lequel l’ensemble des exons et des introns du gène est recopié sous forme d’un acide nucléique appelé ARN. Les introns sont ensuite excisés et les exons accolés les uns aux autres par un mécanisme appelé épissage. L’ARN mature qui en résulte est finalement traduit en protéine.
Le saut d’exon est une technique utilisée en thérapie génique qui exploite le mécanisme d’épissage de l’ARN. Son but est d’induire l’épissage de l’exon porteur de la mutation délétère de telle façon à ce qu’il ne soit plus traduit. La protéine ainsi produite est incomplète et peut ne pas être entièrement fonctionnelle, mais dans certains cas elle l’est suffisamment pour corriger les défauts causés par la protéine mutée. Cette méthode s’est avérée prometteuse pour le traitement de la myopathie de Duchenne, une maladie génétique provoquant une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles.
Le saut exon peut-il être utilisé pour traiter les dysferlinopathies ?
La première tentative de saut d’exon entreprise par l’équipe du Dr. Marc Bartoli se base sur un patient porteur d’une version du gène DYSF dépourvue de son exon 32 mais atteint d’une dysferlinopathie légère. Les chercheurs ont donc pensé qu’une protéine dépourvue de l’information contenue dans cet exon devait être suffisamment fonctionnelle pour corriger des cas de dysferlinopathies plus sévères.
« Nous avons étudié l’effet du saut de l’exon 32 sur des cellules dérivées de deux patients. De manière surprenante, alors que la nouvelle protéine ne s’exprime que faiblement, les cellules sont devenues compétentes pour réparer des lésions au niveau de leurs membranes, indiquant que la thérapie fonctionne correctement», déclare le Dr. Marc Bartoli.
Ces résultats démontrent le potentiel de la technique de saut d’exon pour le traitement des dysferlinopathies. Alors que des études pré-cliniques chez la souris sont en cours pour le saut de l’exon 32 de la dysferline, l’équipe développe des approches similaires pour le traitement d’autres maladies neuromusculaires.