1999 : en révélant l’identité du gène responsable de la forme dominante de la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss, l’équipe de Gisèle Bonne donne naissance à ce qui deviendra quelques années plus tard une entité clinique à part entière : les laminopathies. Moins de 3 ans plus tard, l’équipe de Nicolas Levy démontre en effet qu’une mutation du même gène LMNA est impliquée dans la maladie de Charcot-Marie-Tooth, une neuropathie héréditaire qui entraine des troubles de la marche et de la sensibilité. Dans la foulée, l’équipe résout en 2003 une énigme scientifique vieille de plus d'un siècle, en démontrant cette fois l’implication du gène LMNA dans la Progeria, un syndrome rarissime et incurable qui entraine un vieillissement prématuré et accéléré. Aux prises avec une maladie systémique présentant de nombreux signes et symptômes (lipodystrophie, alopécie, arthrose, ostéoporose, troubles cardiovasculaires, tout en épargnant totalement les fonctions cognitives…), les jeunes enfants touchés par la forme typique de ce syndrome décèdent précocement (en moyenne vers 13 ans), le plus souvent d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC.
« Si la progeria était connue depuis la fin du 19ème siècle, au début des années 2000 les scientifiques n’avaient cependant pas encore réussi à identifier le gène en cause » rappelle Nicolas Levy . « Peu de temps après avoir découvert que le gène LMNA était impliqué dans la maladie de Charcot-Marie-Tooth, nous avons constaté que certains patients porteurs d’autres mutations du même gène présentaient des signes de vieillissement accéléré. Nous avons alors cherché et trouvé des anomalies de ce même gène dans les échantillons de patients atteints de Progeria »
La progérine, une variante toxique de la lamine A
Situé sur le chromosome 1, le gène LMNA commande la fabrication de deux protéines de la famille des filaments intermédiaires : les lamines A et C (grâce à un mécanisme moléculaire baptisé épissage alternatif, chaque gène à la possibilité de générer plusieurs protéines ou isoformes). Avant de devenir une lamine A à part entière, la protéine subit plusieurs étapes de maturation, dont la greffe d’acides gras farnésyles sur une zone prédéfinie de son squelette (étape baptisée prénylation), puis elle gagne le noyau de la cellule. Une fois parvenues à destination, les lamines A perdent leurs groupements farnésyles, se combinent entre-elles et avec les lamines C et B (dérivée d’un autre gène), intègrent la matrice nucléaire et tapissent la face interne de la membrane du noyau (formant la lamina nucléaire). Elles contribuent ainsi à « sécuriser » le fonctionnement de nos chromosomes et la circulation de molécules au travers des pores de la membrane.
Dans la progeria, le gène LMNA muté produit une lamine A tronquée d’une cinquantaine d’acides aminés appelée progerine. Incapable de se débarrasser de ses groupements farnésyles et d’être métabolisée correctement par la cellule, cette lamine mutée interagit alors de façon aberrante avec les lamines normales résiduelles et des protéines partenaires de la matrice et de la lamina nucléaire ce qui entraine en retour toute une série de dysfonctionnements. « Progressivement, l’accumulation de progérine induit de nombreux effets toxiques, notamment une déformation du noyau et une modification de la structure de la chromatine : de nombreuses fonctions sont alors perturbées (réplication et réparation de l’ADN, transcription des gènes, épissage de l’ARN, trafic de molécules de part et d’autre de la membrane…) ce qui accélére le vieillissement et la mort de la cellule » explique Nicolas Levy . « La progérine étant très ubiquitaire, ces anomalies touchent la quasi-totalité des cellules différentiées de l’organisme ce qui explique la diversité et la gravité des signes cliniques observés. »
Avec d’autres centres de recherche, l’équipe cherche depuis à enrichir nos connaissances des laminopathies, et plus largement des maladies qui résultent d’anomalies des protéines de l’enveloppe nucléaire. Aujourd’hui plus de 270 mutations du gène LMNA ont été recensées et le nombre de pathologies associées s’est considérablement accru : outre la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss, la maladie de Charcot-Marie-Tooth et la Progeria, plusieurs syndromes progéroïdes, des lipodystrophies plus ou moins atypiques, la myopathie des ceintures de type 1B, la cardiomyopathie dilatée avec troubles de la conduction cardiaque…
Ces recherches ont également ouvert la voie à de nouvelles pistes de traitements, notamment contre la Progeria. Pour contrer le mécanisme à l’origine de la maladie, le département développe ainsi deux approches thérapeutiques complémentaires : la première, qualitative, vise à réduire la toxicité de la Progérine, la seconde, quantitative, à éliminer le trop plein de Progérine.
Réduire la toxicité de la progérine
Les chercheurs d’AgiPreC identifient ainsi parmi les médicaments existants deux inhibiteurs de farnésyl transférase à même de réduire la toxicité de la Progérine (des molécules qui inhibent la synthèse d’acides gras farnésyles). Après avoir démontré in vitro les bénéfices de l’association de Pravastatine (une statine utilisée en cardiologie pour prévenir et diminuer les dépôts graisseux dans les vaisseaux) et de Zolédronate (un médicament contre l’ostéoporose aussi utilisé en cancérologie, notamment pour réduire la douleur induite par les métastases osseuses), ils confirment en 2008 le potentiel de cette bithérapie dans un premier modèle animal de Progeria (à cette époque, des souris mutées dans lesquelles la prélamine A farnésylée toxique s’accumule de façon aberrante).
« En collaboration avec l’équipe de Carlos Lopez−Otin à l’Université d’Oviedo, nous avons pu démontrer que le traitement associant ces deux inhibiteurs de farnésyl transférase améliorait significativement la densité osseuse et l’espérance de vie des souris malades (173 jours en moyenne) » souligne Annachiara De Sandre-Giovannoli
Sur la base de ces résultats précliniques, l’équipe de Nicolas Lévy conduit alors entre 2008 et 2013, avec le soutien de l’AFM et du Ministère de la Santé (PHRC National), un essai chez 12 patients européens à l’hôpital de La Timone à Marseille (essai clinique mono-centrique de phase II, longitudinal, prospectif, en ouvert, non randomisé).
« Les résultats ont montré une reprise de poids, une diminution du risque cardiovasculaire et une amélioration du métabolisme osseux » rappelle Annachiara De Sandre-Giovannoli. Pour la première fois, les chercheurs sont ainsi parvenus à ralentir l’évolution de la maladie et améliorer la qualité de vie des patients. « Hélas, ces effets ne sont que temporaires et nous cherchons de nouvelles pistes thérapeutiques encore plus efficaces et prometteuses » conclue Annachiara De Sandre-Giovannoli.
Pour poursuivre leurs travaux, les scientifiques d’AgiPreC de Carlos Lopez−Otin doivent d’abord disposer d’un modèle murin plus fidèle. Pour tenter de reproduire les anomalies moléculaires et cliniques observées chez les patients atteints de Progeria, ils introduisent alors dans le gène Lmna de la souris une mutation analogue à celle qu’ils ont précédemment identifié chez l’homme. Cette stratégie se révèle payante puisque moins d’un an plus tard ils donnent naissance à ce qui reste à ce jour le modèle animal de référence de la Progeria. Non contentes de produire de la Progérine par un mécanisme en tout point identique à celui des jeunes patients, les souris mutées présentent les mêmes signes cliniques et leur durée de vie moyenne est de 101 jours (contre 2 ans pour une souris normale).